Le Moyen Age
Dans les siècles qui ont précédé les temps modernes, les vampires hantaient le sombre univers médiéval où il n'existait pas de frontière entre la réalité et l'inconnu. Aujourd'hui, ce monde est encore plus sinistre et le vent qui souffle, les nuits d'hiver sans lune, est un peu plus froid. Mais c'est une époque fantastique pour les vivants et encore plus étonnante pour tous les morts vivants.
En apparence, les différences sont minimes comparées à l'époque médiévale : les châteaux sont à la fois des demeures et des forteresses pour les nobles, tandis que la plupart des paysans s'estiment heureux de vivre aux côtés de leur famille dans une seule pièce. Les guerres sont menées au nom de Dieu et de l'homme et s'élever contre le seigneur des lieux tient à la fois du blasphème et de la trahison. Mais au plus profond de la nuit, les esprits se réveillent et, sous forme humaine, rasent les murs dans l'ombre.
Ce que nous appelons l'âge de l'ignorance dans notre monde correspond à la période comprise entre la chute de l'Empire romain et les prémices de la Renaissance. La Rome glorieuse s'effondre et le réseau de routes ainsi que la structure bureaucratique que l'Empire avait mis sur pied se désagrègent. Les échanges commerciaux cessent et la plupart des personnes sont tout simplement trop occupées à essayer de survivre pour consacrer leur temps à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Les connaissances scientifiques et technologiques acquises sous l'occupation romaine sont ainsi vite oubliées et laissent place à un voile de superstition qui recouvre progressivement le monde occidental.
Les temps sont alors rudes pour l'homme de la rue : des armées en maraude pillent villes et villages, les cités ne sont plus que des amas de ruines. La plupart des objets d'art produits pendant cette période sont de petite taille et pratiques, tels les bijoux et les poteries. Même certains dirigeants sont de parfaits analphabètes et quelques rares monastères représentent les seuls bastions de la connaissance : on y enseigne la lecture, l'écriture et toutes sortes de matières. La population est surtout composée de paysans peu doués pour l'apprentissage car accablés par leur courte vie, sans cesse menacée par les maladies et la faim, plus encore que par les invasions.
Mais les âges sombres sont bien plus que tout cela et ne se limitent pas à une décennie ou à un siècle. L'ombre qui s'abat sur la majorité de l'Europe est de nature morale et se traduit par le refus du spirituel. Le respect qui est censé caractériser les rapports entre les hommes est éclipsé par la lutte quotidienne pour la survie. La plupart des personnes obéissent aux lois de Dieu et des hommes, plus par peur des conséquences en cas d'insoumission que par conviction et croyance en ce qui est juste ou bon. Les vampires règnent en maîtres et sont rarement punis pour leurs crimes. Mais les mortels n'ont pas l'intention de vivre ad vitam aeternam dans un monde régi par la peur : un jour viendra où ils s'uniront pour affronter les prédateurs des ténèbres.
Au cours des siècles suivants, les vampires comprennent qu'il est capital pour eux de se cacher car l'Inquisition fait des ravages parmi la population caïnite et seuls ceux capables de se fondre dans l'univers des mortels échappent à la punition.
Que ces nuits médiévales semblent lointaines.Pour la plupart des mortels, les vampires sont de terrifiantes créatures du Malin qu'il faut fuir ou détruire par le biais de l'Eglise. Grâce aux pouvoirs que leur confèrent leurs disciplines et leur intelligence accumulées au fil de siècles d'expérience, certains vampires ont pris possession de contrées reculées et prélèvent leur dîme sanguinaire sur de pauvres passants égarés. D'autres influencent les dirigeants mortels grâce à de puissants serments ou au travail de leurs goules semi-mortelles.
Les Caïnites et la société
Le Moyen Age se caractérise par une société féodale dans laquelle le pouvoir et le rang de chacun sont définis par les terres possédées et la puissance militaire. L'égalité des chances ne fait certainement pas partie du paysage : si votre famille est puissante, vous aurez d'emblée un avantage décisif sur votre entourage tandis que si vous descendez d'une famille de paysans, la pauvreté et une mort précoce seront votre lot. La naissance détermine le rang et, pour les femmes, le rang dépend de celui de leur mari. Du côté des hommes, il y a ceux qui combattent, ceux qui travaillent et ceux qui prient.
La noblesse
Les nobles appartiennent à la classe des guerriers et des propriétaires fonciers. La grande noblesse détient les terres tandis que la petite noblesse garde des parcelles de terre en échange de services militaires et d'argent. Nombreux sont les jeunes nobles à être initiés à l'art de la guerre dès leur plus jeune âge et à posséder des armes de qualité et de belles armures. Toutefois, dans la vie de tous les jours, ils représentent les administrateurs et les fonctionnaires de la société : ils s'occupent de leurs terres, de l'application de la loi, du commandement des garnisons, des tribunaux et des demeures royales.
Les Caïnites qui ont élu domicile parmi la noblesse mènent une double vie. D'une part, ils doivent tenir leur place dans la société, superviser le travail de la terre et surveiller les habitants de leur fief. Tout comme leurs homologues mortels, ils ont des responsabilités vis à vis de leurs suzerains et de leurs vassaux. D'autre part, les nobles caïnites ont des engagements à tenir auprès des morts vivants, qu'il s'agisse de leurs chefs ou de leurs serviteurs.
Le fait d'être un mort vivant entraîne nécessairement des difficultés pour tout vampire essayant de respecter les responsabilités liées à la condition de noble mortel. Les seigneurs vampires ne peuvent se présenter devant leurs vassaux pendant la journée et doivent tout prévoir pour régler leurs affaires pendant la nuit. Il est clair qu'à la longue, un tel comportement nocturne ne saurait passer inaperçu et c'est à ce moment-là que les rumeurs naissent et se répandent chez les mortels.
Pour un Caïnite, la meilleure façon de mener sa double vie consiste à mandater des proches ou des goules. Un intendant peut être un outil très utile pour faire respecter la justice, tandis qu'un homme de main s'occupe des affaires du manoir ou de la maison. Bien sûr, en cas d'urgence diurne, il y aurait un petit problème.
Le fait est qu'un noble est davantage en mesure de maintenir son pouvoir en place lorsque celui-ci peut être directement associé à un nom et à un visage, car si de nombreux sujets n'ont jamais l'occasion de voir leur maître, il leur est plus facile de le tenir pour responsable d'éventuels ennuis. Quoi qu'il en soit, il y aurait encore beaucoup à ajouter à propos de la silhouette menaçante d'un seigneur, debout sur les remparts, enveloppé par la lumière de la lune qui projette son ombre sur les mortels.
Autre difficulté liée à l'autorité féodale : réconcilier le pouvoir mortel et immortel. Comment un duc peut-il expliquer son humilité face à un petit baron qui vient lui rendre visite après le coucher du soleil ? Si l'autorité caïnite d'un noble dépasse son autorité de mortel, comment peut-il expliquer la présence de certaines de ses goules dans le fief d'un autre seigneur mortel ? Que dire encore d'un groupe de vampires insoumis qui refusent d'obéir à un maître mortel mais acceptent de faire ce que leur demande un noble de rang inférieur qui, comme par enchantement, se révèle être le prince caïnite du coin ?
Les paysans
Au Moyen Age, la masse est représentée par les paysans, ces agriculteurs qui labourent les champs de la noblesse. Les plus chanceux d'entre eux sont des " hommes libres " qui louent les terres des nobles et les cultivent en échange de dîmes et de taxes exorbitantes. Les moins chanceux sont des " serfs " qui ne sont autres que des esclaves ne possédant absolument rien, même pas leur propre corps. Les serfs payent des taxes encore plus élevées et ne peuvent ni se marier, ni se déplacer sans la permission du seigneur. En cas d'agression d'un serf, le vandale doit dédommager le maître car il s'en est pris à un homme lui appartenant. Même si les classes des mortels ont peu de poids sur la société caïnite, il est difficile pour les Nouveau-nés et autres soumis depuis l'époque de Charlemagne de reconnaître la suprématie de certains vampires sur d'autres. Les vampires qui ont une vue aussi réduite de la situation ont beaucoup de mal à accepter les Caïnites, issus de la paysannerie mortelle ou continuant de s'y cacher. Il n'est pas aisé pour un jeune vampire, qui est un noble ou un homme d'Eglise dans la société mortelle, de se soumettre aux ordres d'un vampire dont la vie terrestre est celle d'un homme libre. C'est là que réside pourtant tout le paradoxe de la société caïnite et une nouvelle recrue incapable de s'adapter aura du mal à survivre.
Les vampires cachés parmi les paysans portent un lourd fardeau sur leurs épaules : pour justifier leur style de vie, ils doivent pouvoir expliquer leur absence pendant la journée, à l'heure où tous leurs homologues travaillent, que ce soit en ville ou au manoir. De plus, ils sont censés aller à la messe et leur absence pendant les nombreux festivals qu'organise le seigneur serait vite remarquée.
Un Caïnite rusé qui mène la vie d'un serf peut transformer en goules les personnes adéquates et leur demander de justifier son comportement. De cette façon, les rumeurs pourront être contenues ou étouffées. Pourtant, il est vrai que la plupart des vampires issus de la paysannerie brisent leurs liens mortels et se mettent en quête de meilleurs modes de vie. Pourquoi être le prédateur des humains tout en étant leur proie dans une vie qui n'est que mensonges ?
Le clergé
L'Eglise représente la clé de voûte des institutions médiévales, même s'il est vrai qu'il ne s'agit pas de la seule et unique institution importante de l'époque. Néanmoins, elle a sous sa coupe les universités et les écoles de l'Europe médiévale et se charge de l'éducation des enfants des familles aisées et puissantes. Dans les paroisses, elle nomme les prêtres qui, du haut de leur chaire, intiment à la population d'obéir à Dieu et à ses représentants sur terre. En dehors des membres du clergé, rares sont les personnes à savoir lire ou à posséder des livres. Les monastères et les cathédrales européens détiennent de vastes terres et sont les principaux mécènes dans le domaine artistique. Le pouvoir de l'Eglise au cours de ces âges sombres ne saurait être sous-estimé : les hommes d'Eglise sont très riches et influents et connaissent l'art et la manière de s'adresser au peuple pour lui dire en quoi il doit croire, pour le flatter et l'encourager en lui promettant la vie éternelle. Un évêque mécontent a le pouvoir d'excommunier une pauvre âme, l'excluant ainsi de l'Eglise et du pardon divin, tandis que seuls les prêtres sont en mesure d'absoudre les pécheurs.
Les Caïnites présents parmi le clergé mortel bénéficient de la plus haute protection à la fois de la part des vampires et de leurs opposants mortels, mais une telle protection a un prix. Un vampire qui choisit de revêtir la robe, bien que l'habit ne fasse pas le moine, est porté par le pouvoir de l'Eglise, autrement dit de l'institution la plus influente du monde médiéval. Si jamais un opposant se dresse sur leur chemin, les Caïnites infiltrés dans le clergé peuvent toujours faire appel à l'autorité divine pour lui infliger une punition. Pour cela, il leur suffit de se faire seconder des bonnes personnes et de fournir des " preuves " évidentes. Paradoxalement, l'Eglise protège également ses brebis maudites grâce au pouvoir de la foi. Les hommes d'Eglise mortels sont souvent infidèles, mais certains d'entre eux demeurent irréprochables et leur conviction suffit parfois à faire reculer un opposant qui, en d'autres circonstances, n'aurait pas hésité à donner la chasse au Caïnite, le poursuivant jusque dans son abbaye ou son monastère. Les frères caïnites doivent par conséquent prendre toutes les précautions nécessaires pour repérer les hommes d'Eglise à la foi vacillante et s'en éloigner.
Se dissimuler parmi le clergé présente toutefois de multiples dangers. Tôt ou tard, le vampire se trouvera face à face avec la Vraie Foi. Il va de soi que le pouvoir caïnite doit être utilisé de façon subtile pour éviter d'éveiller des soupçons et d'être accusé de pratiques sataniques. De plus, les devoirs qui sont normalement ceux d'un prêtre doivent être remplis de façon assez convaincante pour ne pas risquer d'être démasqué.
Si les vampires échouent dans cette partie de cache-cache au sein du clergé, ils risquent de déclencher des chasses aux sorcières.
Géographie
Au Moyen Age, l'Europe est dominée par un petit nombre de royaumes puissants. L'Empire romain représente la principale entité car il englobe l'Allemagne, l'Italie du nord et une partie de la France occidentale. Ce paysage est déchiré par la longue guerre civile que se livrent deux empereurs rivaux, Othon de Brunswick et Philippe de Souabe. L'Empire comprend en réalité des dizaines de petits duchés ; les ducs prêtent allégeance à l'empereur mais dirigent souvent leur domaine tels des monarques indépendants et la discorde vient souvent des luttes qui opposent les différents fiefs.
Les rois anglais (à l'époque, le roi Richard Coeurur de Lion) règnent sur l'Angleterre, le Pays de Galles, le nord de la France et, en théorie, sur l'Irlande. En 1199, Richard est tué au cours d'une bataille et son frère Jean lui succède. Le royaume de France, à la tête duquel se trouve Philippe II, est probablement le seul royaume véritablement stable en Europe et en tout cas le mieux dirigé. D'ailleurs, il cherche à s'étendre en soutirant aux Anglais des terres au nord du pays. Constantinople, où règne l'empereur Alexis III, est à la tête d'un empire comprenant l'actuelle Turquie (que lui disputent les Maures), la Serbie et la Grèce.
A la lisière de l'Europe se trouvent d'autres royaumes, notamment la Hongrie, la Pologne, Jérusalem (en réalité son centre est à Chypre car Jérusalem est sous contrôle musulman) et l'Ecosse ; ou encore, les principautés de Russie et le prétendu Empire de Bulgarie. Il existe même une multitude de royaumes et de principautés encore plus petits comme ceux d'Ibérie, les quatre principautés irlandaises, les minuscules Etats suisses et le royaume du Danemark. Au coeur de l'Europe, un bastion païen résiste : le royaume de Lituanie et les terres le long de la côte baltique.
Le personnage le plus puissant de l'époque est sans doute le pape. Il exerce certes son autorité sur son royaume au centre de la péninsule italienne, y compris sur la ville de Rome, mais il est surtout le chef de l'Eglise dans toute l'Europe occidentale. Alors que les royaumes se déchirent au nom de leurs monarques, tous reconnaissent en la personne du pape une autorité spirituelle supérieure face à laquelle toute juridiction bassement terrestre s'écroule. D'aucuns estiment qu'en tant que représentant du Christ sur terre, le pape devrait exercer son autorité dans tous les domaines et pensent que tous les dirigeants laïques devraient s'incliner devant lui et lui jurer obéissance. En 1198, le pape modéré Célestin III meurt et Innocent III, personnage habile et puissant, le remplace.